• 28 janvier 2023

Le regarder en streaming ou le sauter ?

Happening (actuellement sur Hulu) est l’adaptation par la réalisatrice Audrey Diwan du roman autobiographique d’Annie Ernaux, qui raconte ses tentatives pour obtenir un avortement alors qu’elle était adolescente dans la France du milieu du siècle dernier. La procédure était illégale à l’époque, et le film est sorti en 2022, juste au moment où la Cour suprême des États-Unis a annulé la décision Roe vs Wade sur le droit à l’avortement, dans un acte d’anti-progrès flagrant. Ainsi, un film qui fonctionne comme un drame d’époque rappelle également comment une société peut, à l’époque et encore aujourd’hui, torturer physiquement et mentalement les femmes. C’est pour cette raison qu’il est inébranlable et qu’il est essentiel de le regarder.

HAPPENING: LE REGARDER EN STREAMING OU LE SAUTER ?

L’essentiel : C’est le début des années 1960. Anne (Anamaria Vartolomei) et ses amies les plus proches, Brigitte (Louise Orry-Diquero) et Hélène (Luana Bajrami) se pomponnent et s’habillent pour une nuit de danse et de rencontre avec des garçons : Coiffure et maquillage, chemise transparente, jupe plus courte. Anne semble moins préoccupée par l’exploration sexuelle ; lorsqu’un beau jeune homme s’approche d’elle et se présente comme un pompier, son premier réflexe est de l’ignorer et d’éviter tout contact visuel. Les filles fréquentent un internat de préparation à l’université. Anne étudie la littérature. Anne est une étudiante engagée. Anne vit dans un dortoir avec des salles de bains et des douches communes. Anne regarde dans ses sous-vêtements, puis écrit dans son journal. 3 SEMAINES, lit-on en sous-titre.

Elle va chez le médecin, un homme, froid et clinique, mais pas agressif. Est-il sympathique ? Difficile à dire. Il lui demande si elle est sexuellement active. Jamais, répond-elle. Un petit ami ? Jamais. Il l’examine. « Vous êtes enceinte », dit-il. « Fais quelque chose », dit-elle. « Tu ne peux pas me demander ça… la loi est impitoyable », répond-il. C’est vrai. Quiconque donne, reçoit ou aide à l’avortement risque la prison. Elle ne le dit à personne. Elle jette un coup d’œil par-dessus son épaule à la bibliothèque, en espérant que personne ne la voit en train de se documenter sur la science de la grossesse. Elle a du mal à se concentrer en classe, et est interpellée devant tout le monde par son professeur, un homme, froid et clinique, mais pas agressif. Est-il sympathique ? Difficile à dire.

Les sous-titres marquent le passage des semaines. Anne regarde son abdomen dans le miroir. Est-ce que ça commence à se voir ? Elle demande de l’aide à un camarade de classe, Jean (Kacey Mottet Klein), parce qu’il « connaît beaucoup de filles », et il semble d’abord sympathique, mais, là encore, difficile à dire. Nous apprenons rapidement qu’il ne l’est pas ; il ne voit en elle qu’une occasion de faire l’amour sans risquer de devenir père. Dans la salle de douche, elle est réprimandée par des brutes qui remarquent sa bosse. Elle révèle sa situation à Brigitte et Hélène, qui reculent devant ses supplications pour l’aider à se faire avorter. Elles ne lui adressent plus vraiment la parole après cela. Elle consulte un autre médecin. Elle rend visite à ses parents mais n’ose pas en parler. Elle stérilise une aiguille à tricoter avec un briquet et s’allonge sur le sol en remontant ses jambes.

Photo : Everett Collection

Quels sont les films que cela vous rappellera ? Le chef-d’œuvre du réalisme roumain de 2007, un film d’horreur et d’émotion similaire. 4 mois, 3 semaines et 2 jours.

Une performance qui vaut la peine d’être vue : Vartolomei est une révélation. Le mot « bravoure » ne suffit pas à définir sa performance. Il y a tant de sincérité, de vérité et d’humanité dans son interprétation d’Anne qu’il est impossible de ne pas éprouver de l’empathie pour elle.

Dialogue mémorable : Anne : « J’aimerais avoir un enfant un jour, mais pas à la place d’une vie. »

Le sexe et la peau : Nudité graphique prolongée et scène de sexe réaliste et non stylisée.

Notre avis : Ce qui se rapproche le plus d’une affirmation claire et directe dans le scénario de Diwan et Marcia Romano, c’est lorsque le médecin d’Anne insiste : « Mademoiselle, acceptez-le. Vous n’avez pas le choix. » Pas le choix. Pas le choix : la seule déclaration politique du film, qui se distingue par sa lacération critique d’une société, d’un système, conçu pour punir les femmes en les forçant à la servitude domestique ou à un isolement débilitant. L’histoire d’Anne décrit ce dernier cas de manière concise et indéfectible. Elle ne peut échapper au jugement de ses pairs, de ses médecins, de ses instructeurs et même de ses amis les plus chers. Elle devient donc désespérée, prenant des risques avec le bien-être de son corps et de son esprit, souvent dans des séquences prolongées et aveuglantes qui décrivent clairement ses expériences, non pas comme un mélodrame ou une allégorie sociale, mais comme une horreur excoriante.

La méthode intransigeante de Diwan est le réalisme, ce qui fait de l’histoire de Diwan un film d’horreur. Happening est fréquemment éprouvant à regarder. Il n’y a pas de montage miséricordieux lorsqu’elle dépeint les expériences d’Anne avant, pendant et après ses multiples tentatives d’avortement. La douleur physique et psychologique d’Anne remplit la pièce. Elle n’a aucune liberté personnelle. Elle souffre seule.

Utilisant des caméras portatives, de longues prises de vue et de fréquents gros plans, Diwan ne s’éloigne jamais du point de vue d’Anne. La performance de Vartolomei est souvent silencieuse, mais d’une complexité fascinante ; elle montre le refus du personnage de faire des compromis ou de s’excuser pour ce qu’elle est, ou pour ses besoins et ses désirs. Le film ne porte jamais de jugement sur elle. Il ne s’interroge pas sur ses décisions passées, qu’il s’agisse d’erreurs ou autres (il aborde même la question de l’identité du père). Il traite simplement de l’immédiateté de sa vie à une époque de révolution sexuelle et de l’agitation qui règne dans l’obscurité sous-jacente. En fin de compte, Happening trouve une ligne directrice inspirante dans l’histoire d’Anne, à travers son engagement inébranlable envers elle-même, mais la terreur qu’elle ressent n’est que trop réelle.

Notre appel : STREAM IT. Happening est inoubliable.

John Serba est un écrivain indépendant et un critique de cinéma basé à Grand Rapids, dans le Michigan. Vous pouvez lire la suite de son travail sur johnserbaatlarge.com.

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